de la revolution chinoise
EAN13
2000037252982
Éditeur
Grasset
Date de publication
Nombre de pages
316
Dimensions
118 cm
Poids
215 g
Langue
français
Fiches UNIMARC
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de la revolution chinoise

Grasset

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Innocente?>INNOCENTE ! Le jury venait de la déclarer innocente. Elle ne pouvait pas être jugée une seconde fois. Il n'était plus besoin de simuler, mais la décence obligeait à de la retenue. S'efforçant de garder l'air impassible que les audiences lui avaient imposé, Sylvie salua, se retira.Elle dit des phrases aimables à ceux qui l'attendaient et qui, assez gauchement, manifestaient leur joie. Elle eut peine à ignorer ceux qui criaient au scandale. Elle était tellement de leur avis. S'ils l'avaient exprimée avec intelligence, leur haine lui eût même été douce. Un sentiment de convenances contraignit Sylvie à déclarer qu'elle voulait être seule, et seule, à pied, elle regagna la maison d'où, huit mois plus tôt, la police était venue la prendre.Maintenant, la maison n'appartenait qu'à elle. Comme elle s'y sentait bien ! Non, jamais elle ne la vendrait. Mélanie, la vieille servante, hélas, n'était plus là, qui adorait Germaine et avait dénoncé. Loin de lui garder rancune, Sylvie eût voulu lui faire savoir à quel point elle la comprenait. Errant d'une pièce à l'autre, Sylvie ne pouvait s'empêcher d'en regarder les glaces. Elle n'avait que trente ans : elle ne parvenait pas à être laide ; si elle le désirait, elle redeviendrait jolie, tout comme auparavant. Elle ne s'en donnait pas le droit. Quand elle fut dans la chambre qu'elle avait occupée avec Germaine, elle se jeta sur son lit, sanglota.***Sylvie avait tué sa sœur jumelle parce qu'apparemment elle lui ressemblait trop, parce que, de fait, elle était son contraire. Même les amis intimes des jumelles distinguaient d'autant plus difficilement Germaine et Sylvie que, depuis la mort de leurs parents dans un accident d'auto quand elles avaient quinze ans, Germaine s'obstinait à imiter sa sœur.Prisonnière d'un amour qui chaque année lui paraissait plus lourd, irritée par les taquineries croissantes dont cet amour tentait de se voiler, Sylvie n'avait pas réagi. Sa mine, presque toujours sombre, conservait quelque grâce et ne pouvait passer pour une réprobation. Aux sourires, elle répondait d'ailleurs par des sourires. Chez le coiffeur, devant la couturière, elle cédait quand Germaine exigeait la même mise en plis, une robe identique. Elle ne lui avait pas reproché d'adopter, non sans affectation, sa façon de parler. Alors que le vague à l'âme était inconnu à Sylvie, que rien n'échappait à son observation, qu'elle n'allait à la messe que par habitude et pour ne pas choquer, Germaine avait dû la croire rêveuse, distraite, pieuse.D'une gaîté sans cause et donc sans faille, Germaine prenait devant des tiers l'air triste de sa sœur, réservant aux tête-à-tête, les rires et les propos qui suscitaient le dégoût de Sylvie. Elle sortait beaucoup, et faisait en sorte que la plupart de ceux qui la courtisaient déclarassent également leur flamme à Sylvie. Peu intéressée par la chair des hommes, Sylvie goûtait fort leur esprit et désirait leur amitié, mais les intrigues amoureuses de Germaine la lui interdisaient. Elle entretenait donc, en petit nombre, des relations superficielles, tandis que Germaine allait de bras à bras et n'épargnait à Sylvie aucune confidence. Pour ne pas se séparer de sa sœur, Germaine avait à la dernière minute refusé d'épouser une demi-douzaine de ces jeunes gens dont les regards, qui ne la brûlaient pas, provoquaient et outrageaient Sylvie.Sylvie ne haïssait pas Germaine. Elle éprouvait même pour elle une sorte de tendresse mélangée de pitié, mais sa présence, son existence la torturaient sans trêve. Lorsque Germaine lui annonça qu'elle était enceinte, l'idée lui vint, et, malgré ses efforts, ne put être écartée, d'en finir avec elle.Ayant proclamé qu'elle ne ferait rien pour que fût reconnu le fruit de ce qui, pour elle, n'était pas un péché, décidée à mettre fièrement au monde l'enfant des deux jumelles, Germaine attendait, rayonnante, l'effroyable malheur et il semblait qu'on ignorait en ville jusqu'où la légèreté avait pu l'entraîner. Peut-être doutait-on que les hommes avec qui elle était rencontrée eussent obtenu d'elle ce que Sylvie n'eût jamais accordé. Il eût été trop simple que l'une fût le vice et l'autre la vertu.Si elle avait senti qu'avec la maternité, Germaine viendrait à s'éloigner ! Non, quoi qu'il arrivât, vivante, Germaine ne cesserait jamais de se coller à elle. Sylvie lutta deux mois. La tension creusait son visage, tandis que la grossesse marquait le visage de Germaine. Elle n'aurait pas d'excuse, ce n'était pas pour le bien de Germaine, incapable de honte et de souffrance qu'elle la supprimerait.Bien que la maison fût vaste, Germaine avait voulu partager la chambre de sa sœur. La pièce s'y prêtant, les meubles avaient plusieurs fois changé de place et chaque initiative de Sylvie était saluée par Germaine comme un trait de génie. Les différentes combinaisons étaient dès longtemps épuisées, lorsque Germaine commenta joyeusement le fait qu'un berceau allait permettre de nouvelles variantes et, d'un ton câlin, pria sa sœur d'en effectuer l'achat. Sylvie, alors, n'hésita plus. Plusieurs nuits de suite, elle fit exprès de mal dormir, dérangea Germaine et il fut décidé que toutes deux prendraient un somnifère léger qui s'absorbait liquide et non en comprimés.Un soir, Germaine trouva la potion plus amère. Le lendemain elle ne se réveilla pas et Sylvie, étonnée de sa peine, appela le docteur.Le médecin de famille constatant, horrifié, la grossesse conclut à un suicide. Quel qu'en fût son désir, Sylvie ne put rien préciser, mais Mélanie, la vieille cuisinière — à laquelle Sylvie prêtait peu d'attention, mais pour laquelle Germaine, gourmande, avait mille gentillesses — avertit la police que la défunte n'avait jamais été plus gaie que les semaines et les jours qui précédèrent sa mort, que Sylvie n'avait jamais parue plus tourmentée, que, sans nul doute, un crime prémédité venait d'être commis.Comme, interrogée, Sylvie ne protestait pas, elle fût arrêtée, le scandale éclata. En prison, goûtant un bonheur qu'elle jugeait infâme, Sylvie n'avait pas résisté à la facilité. L'avocat à qui elle n'osait rien révéler, s'était passionnément battu pour l'innocente. Si elle s'était confessée publiquement, on ne l'eût pas comprise, peut-être même ne l'aurait-on pas crue. Alors, pourquoi ne pas accepter la victoire ? Il serait merveilleux de rentrer seule dans la vieille maison, de naître à nouveau sans une atroce image.Elle avait donc toléré qu'une lutte s'engageât, elle avait joué l'effroyable jeu que, professionnellement, l'avocat devait lui suggérer. Avoir été réduite à tuer une sœur qui vous aimait ! Etre obligée d'exploiter sans pudeur la lamentable histoire qui rendait plausible le suicide de Germaine ! Etre contrainte à fuir la mort qu'on méritait ! L'horreur où elle était plongée avait prêté à Sylvie un masque de douleur qui fut la suprême habileté. Sylvie regrettait plus que tout de n'avoir pas payé. Mais il était trop tard. Elle était condamnée à mimer l'innocence.Sylvie regarda le lit où Germaine était morte. Ce bonheur qui venait à peine de la fuir, qui vite reviendrait, saurait-il se doubler de remords ? Mais un remords abstrait n'apporterait pas la grâce.***Sylvie n'osa pas enlever le lit de Germaine de la chambre à coucher. Souvent elle y posait des fleurs. Souvent, elle s'efforçait de parler à sa sœur, comme si, de l'au-delà, Germaine enfin savait se faire aimer. Elle se contraignait à ce rite affreux parce qu'elle voulait expier. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer une tout autre Germaine, légère certes, mais pure, transparente certes, mais sensible, joyeuse mais fine, aimante mais anxieuse. Elle ne pouvait s'empêcher d'inventer la Germaine qu'elle n'aurait pas tuée.***Comment Sylvie eût-elle repoussé les curieux qui affluaient chez elle ? Tous ceux qui la déclaraient innocente accouraient pour lui montrer leur sympathie, pour tâcher de l'aider, pour lui dire d'oublier. Bien des figures nouvelles franchirent par charité le seuil de la vieille maison. On la pria d'honorer des fêtes de famille. Se pouvait-il qu'elle fût tant aimée ? Se pouvait-il qu'il y eût dans la ville tant de bonnes personnes ? Que de tact l'on déployait ! Que d'habileté pour la distra...
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