Laurence G.

Libraire passionnée à Epinal depuis 2013.

Conseillé par (Libraire)
8 novembre 2016

Un diamant brut! Précipitez-vous...

Si vous avez lu la quatrième de couverture, vous savez déjà en ouvrant ce diamant brut que vous démarrez une histoire qui finit très mal avant même d'avoir commencé. Vous savez aussi que l'histoire se passe en Louisiane, et vous comprendrez vite que le jeune assis dans le box des accusés vient d'être condamné « à s'asseoir sur les genoux de l'horrible Gertrude ». Il est noir, pauvre comme Job et il va voir en plus le peu qui lui reste à vivre passablement écourté grâce à son père, Brady Sims, qui après l'avoir interpellé va l'abattre avec une seule balle. Tout cela est dit en deux pages. Le narrateur, Louis Guérin, un jeune journaliste naïf et natif de cette même ville, a assisté à la scène incompréhensible de l'infanticide. Il doit rendre un papier le soir même, « un article à résonance humaine » lui a précisé le directeur de l'hebdomadaire de la ville pour lequel il travaille. Mais pour le rédiger, il va devoir comprendre pourquoi Brady Sims a tué son fils et pourquoi il a demandé au shérif deux heures de liberté avant de se rendre. Où trouver les informations qui lui manquent si ce n'est chez Lucas Félix, coiffeur de son état ? C'est là que va se rendre « le petit Guérin » comme l'appelle le shérif, pour écouter ce que les vieux auront à révéler avec peu de mots mais ceux qu'il faut pour raconter la vie d'un des leurs, le Sud, la misère, le racisme ordinaire, et les causes de ce meurtre, celles qui en Louisiane sont à l'origine de tout d'ailleurs : « le tracteur et la guerre ».
Avec une économie de mots remarquable, un sens de la construction et du suspens à faire pâlir un auteur de polars, Gaines nous propulse dans son monde en deux phrases et trois virgules, celui d'un Etat américain où les Noirs sont les premiers à crever de faim, où la parole une fois dîte ne se répète pas et où les femmes sont des objets de fantasme fatiguées à force d'être battues et trompées.
Cet auteur réussira, en plus, à vous faire sourire grâce à des personnages secondaires croustillants.
Quand vous ouvrez ce roman de tout juste 111 pages, vous ne vous attendez pas à recevoir un uppercut en plein visage. Aussi, soyez prévenu, dès la première page, le coup sera puissant et vous resterez sonné longtemps.

Éditions Gallmeister

Conseillé par (Libraire)
31 octobre 2016

Un coup de coeur total et définitif pour le dernier roman de David Vann

Dans son nouveau roman, David Vann nous offre une histoire superbe, celle d'une famille luttant contre ses propres démons. Caitlin, la narratrice, revient sur son enfance et l'histoire de sa famille. Lorsque le récit démarre elle vit à Seattle avec sa mère célibataire, Sheri, dans un petit appartement situé dans un quartier sordide de la ville portuaire. Sheri a un travail harassant sur les docks et sa journée de travail terminée, elle récupère Caitlin à l'aquarium de Seattle. La collégienne s'y réfugie tous les après-midis, passionnée par le monde des poissons, un monde qui la fascine et apaise ses angoisses. La vision des poissons et la connaissance qu'elle développe peu à peu sur ce milieu résonnent en elle nourrissant son imaginaire de mille et une façons. Dans ce lieu hors du temps et hors du monde, elle va faire la connaissance d'un vieux monsieur avec lequel elle se lie d'amitié. Cette rencontre va bouleverser l'équilibre précaire construit par Sheri au fil des années, un équilibre dans lequel son propre passé et sa famille n'ont jamais eu aucune place. Sa rage et son mal-être vont se déchaîner sur Caitlin qui ne se satisfait plus des réponses sommaires de sa mère sur son enfance et ses parents et désire plus que tout se constituer une vraie famille.
Prise entre des questions qui restent sans réponse et le besoin de grandir et de s'affirmer vis à vis de sa mère, elle va tenter de réconcilier celle-ci avec son passé et avec elle même.
La langue de David Vann, pleine de poésie mais aussi ciselée, est également emplie de l'écho de la violence des rapports humains et nous transporte dans une histoire familiale de haine et de rédemption, de remords et de lâcheté. Vann prend ses personnages à bras le corps pour que l'indicible éclate enfin en mots libérateurs. On en ressort K.O mais éblouis

D'apres le roman de antonio tabucchi

Sarbacane

25,00
Conseillé par (Libraire)
25 octobre 2016

PEREIRA PRETEND

Qui est donc Pereira ? Il est né une première fois en 1994 sous la plume de Antonio Tabucchi pour renaître grâce aux crayons de Pierre-Henry Gomont. Pereira vit au Portugal en 1938 et s'occupe de la rubrique culturelle d'un quotidien alors que Salazar et ses sbires règnent en maîtres adoubés par Mussolini et Franco. Depuis le décès de sa femme, le quotidien de Pereira est morne et solitaire. Une rencontre fortuite avec un jeune idéaliste va bouleverser sa vie.
Pourquoi lire cette adaptation graphique du roman d'Antonio Tabucchi? Pour découvrir ou retrouver le roman italien dénonçant la dictature et la censure politique, écrit à un moment où Berlusconi va être élu pour la première fois chef de gouvernement en Italie. Avec Pereira, mélancolique, massif et fragile souffrant d'une envie insatiable de nourriture confinant à la maladie, Tabucchi crée un personnage qui pourrait être Monsieur Tout Le Monde mais dont les convictions profondes et l'humanisme vont peu à peu reprendre le dessus sur la lâcheté et l'égoïsme.
Gomont s'est approprié le roman de Tabucchi de très belle manière, par le dessin évidemment. Le trait vibre légèrement, comme lorqu'on regarde un paysage écrasé par la lumière solaire. Chaque silhouette se détache entourée d'un léger halo blanc, insufflant de l'énergie dans la page tout en créant une lisibilité exemplaire. Les couleurs, fortes, tranchées, participent pleinement à l'ambiance avec les ciels azuréens et les façades ocre que l'on sait être celles de Lisbonne. La conscience de Pereira prend la forme d'un petit bonhomme qui apparaît à ses côtés, le sermonnant ou l'incitant à prendre position sur ce qu'il voit et qui le révulse: des arrestations sommaires en pleine rue, des assassinats perpétrés par la police du régime et passés sous silence par la presse...
Ce roman graphique est un exemple parfait de ce que peut apporter la Bd à la littérature: une relecture pleine de style et d'originalité donnant vie sous une autre forme à un texte fort, bien loin d'une simple transposition sans imagination ou éclat. Lecture recommandée aussi pour un public ado.

20,00
Conseillé par (Libraire)
4 octobre 2016

Un retour en images sur les années 20 en Turquie

La BD est l’adaptation du roman d’Allain Glykos Manolis de Vourla parue aux éditions Quiquandquoi et retrace l’enfance de Manolis –le père d'Allain Glykos-, jeune grec dans la Turquie des années 20, au moment où Mustafa Kemal décide de résister au dépeçage de la Turquie décidé par les Alliés lors du Traité de Sèvres et signé par le sultan Mehmed VI ; Kemal engage une bataille contre les Français, les Italiens les Arméniens et les Grecs, plébiscitée par la population turque.
La guerre remportée par Atatürk oblige la Grèce à céder des territoires à la Turquie et entraîne d’importants mouvements de population : de 1,2 à 1,5 million de Grecs orthodoxes devront s’exiler en Grèce et environ 385.000 Musulmans seront expulsés vers la Turquie.

Tous vivaient en bonne intelligence avant le conflit comme nous le montre le début de l’histoire de Manolis. Le conflit et la montée de la haine anti-grecque de la part des Turcs sont totalement incompréhensibles pour le petit garçon qui se voit séparé brutalement de sa famille quand les balles turques pleuvent sur son village. Il réussira malgré tout à retrouver sa mère après un long périple.
Le graphisme en noir et blanc d’Antonin est très fort et joue sur ces deux tons de façon très expressive.
Un excellent roman graphique qui permet de découvrir une page méconnue de l’histoire de la Turquie contemporaine et en même temps un récit de vie poignant.

Pour adultes mais aussi jeunes lecteurs dès 12 ans.

Conseillé par (Libraire)
4 octobre 2016

Un magnifique album reprenant une nouvelle de Tolstoï

Pacôme, un jeune paysan de Sibérie, cultive son champ; sa famille ne manque de rien mais il est rongé par l’envie d’avoir un champ plus grand, ainsi pourrait-il être « tout à fait heureux »… ; de page en page, Pacôme réussit à agrandir son domaine, n’hésitant pas à parcourir des terres de plus en plus lointaines pour réaliser ses rêves de possession jamais satisfaits. Mais cupidité et avidité n’étant pas synonymes de bonheur, l’histoire finit bien mal pour Pacôme…
Un double coup de cœur pour le texte à méditer et pour les gravures superbes de Raphaël Urwiller, illustrateur et éditeur par ailleurs d’Icinori.